Mon nom a peu d’improtance. Je suis Normand, natif de Rouen, expatrié en Ile-de-France depuis près de quinze ans. Expatrié, ce mot choque. Pourtant, en 2017, un candida
t aux élections présidentielles avait pris un selfie avec « une mère de famille expatriée en Guadeloupe ».
Les bases du dénigrement réciproques entre Paris et la « province » étant posées, entrons dans le sujet qui me pousse à vous interpeller.
La France fracturée
Fin 2018, la crise des gilets jaunes met en exergue deux fractures sociales :
- La première est une divergence de point de vue entre les dirigeants politiques et le peuple qui les a élus. Comme si, finalement, il y avait tromperie sur la marchandise.
- La deuxième, au sein même du peuple, dont les conditions de vie sont très dépendentes du lieu où l’on vit.
- Grandes métropoles peuplées de cadres contre petits villages d’ouvriers et d’agriculteurs.
- Zones urbaines profitant du déploiement de nouveaux services contre zones rurales où ces mêmes services disparaissent peu à peu.
La crise sanitaire actuelle a encore démontré notre besoin d’indépendance, de résilience. Mais, vous l’avez demandé, notre besoin de libertés dans nos décisions. Vous voulez plus de décentralisation.
Moi-même, j’ai porté cette idée pendant des années. Disposer de plus de latitude dans nos choix me semblait la solution à beaucoup de nos problèmes locaux. Vous en avez même fait votre fer de lance avec, par exemple, la prise de contrôle des trains régionnaux.
Une bureaucratie verticale
Même le président semble d’accord avec cette idée. Lui qui disait, au sujet de la gouvernance européenne :
Actuellement je me bats bec et ongles pour défendre l’idée que le Parlement européen se réunisse à Strasbourg, parce que si on accepte que le Parlement se réunisse à Bruxelles, nous sommes foutus. Parce que ça veut dire que dans 10 ans, tout sera à Bruxelles et les gens (liés aux institutions européennes) ne parleront plus qu’entre eux à Bruxelles.
Emmanuel Macron en Lituanie, le 29 septembre 2020
A contrario, ça ne semble lui poser aucun problème quand la gouvernance française soit totalement gérée depuis Paris. Ceci sans prendre en compte les spécificités locales. Je citerais pour exemple le couvre-feu à 18h. Il n’est absolument pas appliqué en Ile-de-France, car c’est l’heure à laquelle finissent les cadres avant de prendre une à deux heures pour rentrer chez eux.
A votre arrivée à la tête de la région, j’étais sceptique quant à vos intentions sur cette « indépendance ». Depuis, vous m’avez démontré que, à défaut d’avoir réussi, vous avez tenté .
Un sombre avenir
Mais à l’approche des prochaines échéances électorales (régionnales et présidentielles), je suis inquiet.
En effet, sur différents dossiers, comme les trains, ou plus récemment les vaccins ou le contournement est de Rouen, les solutions proposées dépendaient majoritairement de financements de la région. Ceci a pour avantage de soutenir ces projets, mais à quel prix ?
Des collectivités vassalisées au service d’un état démissionnaire
C’est bien là que réside mon inquiétude : pour quelle raison la région devrait palier aux manquement d’un état démissionnaire sur ces missions régaliennes ? Et quel meilleur alibi que vous, M. Morin, ardent défenseur de la « décentralisation », pour accélerer ce processus de déchargement de ces missions ?
Vous n’y croyez pas ? Quelques exemples :
Transports :
Les trains régionnaux : pas la peine de développer ce dossier que vous ne connaissez que trop bien. Le fait de rappeler que les trains sont plus lents qu’il y a cinquante ans parle de lui-même. Et ce projet, démarré dans les années 1990, semble finalement vidé de sa substance depuis 2012, en devenant un « simple » TER, en plus rapide.
Le contournement Est de Rouen : Un projet étudié dans les années 1970, et dont les accords de finacement font toujours débat en 2021 ! Les opposants au projet ne sont pas les seuls responsables du retard de ce projet. D’ailleurs, pour vous citer :
Ce serait une agression pour la Normandie si l’État ne retenait pas ce projet de contournement et ce serait un signal fort de l’abandon d’un territoire.
Les ponts de Tancarville et de Normandie : pour le coup, il semble que ces ponts soient issu de notre décision, suite au refus de l’état de participer à ces projets.
Culture :
L’exemple du financement de la culture : Ce fait, pourtant anecdotique, est assez démonstratif :
- Financement par l’état environ neuf fois plus importants en Ile-de-France que dans les autres régions françaises.
- L’état finance la culture à hauteur de 80 % en Ile-de-France.
- Louvre totalement financé à Paris, financé à hauteur de 1% à Lens.
La restauration du patrimoine :
Sécurité :
La police municipale : J’en ai déjà parlé également. Comment un ministre de l’intérieur, garant de la sécurité de tous les français, peut-il répondre au maire de Grenoble :
“Votre police municipale ne compte que 100 policiers municipaux pour une population de 160.000 habitants, soit un ratio d’un agent pour 1580 habitants”, écrit Gérald Darmanin, comparant ces effectifs à ceux de Nice, bénéficiant d’un ratio bien supérieur (un agent pour 618 habitants).
Gerald Darmanin à Éric Piolle, maire de Grenoble
Quelle est la prochaine étape ? Vous devrez financer une armée normande, pour protéger notre territoire. Pourtant, l’ennemi vient de l’intérieur.
Economie :
France télécom : Là encore, pas besoin de développer plus ce sujet, j’en parle régulièrement. Les grandes zones urbaines profitent d’un déploiement rapide de nouvelles infrastructures de communications (fibre, 4G voire 5G). Ceci leur permet de développer une économie grâce à ces services (e-commerce, click-and-collect, très utilisés en cette période). Pendant ce temps, dans les zones rurales, avoir l’ADSL (qui existe depuis vingt ans) est parfois impossible. Passer des appel depuis son mobile peut être compliqué. Ces services mal délivrés empêchent notre économie régionale de s’adapter et suivre le mouvement. Et la Normandie n’est pourtant pas la plus à plaindre.
Suppression de la taxe d’habitation : C’est sans doute une bonne nouvelle pour le porte-feuille des français. Mais c’est une mauvaise nouvelle pour celui des collectivité de proximité. Le gouvernement de l’époque aurait pu choisir de baisser les impôts, mais ça aurait touché à ses caisses. Il a préféré alléger les notres, et y ajouter une petite baisse des dotations, et la loi NOTRE tant qu’à faire.
J’en arrive justement à ma conclusion
Vous souhaitez nous rendre libres de nos choix. J’ai peur de devenir esclave de notre pauvreté. M. Morin, plutôt qu’espérer plus de décentralisation, véritable trompe-l’oeil, préférez la concertation des décisions par le bas (donc par les édiles locaux) dans un état uni, réconcilié et égalitaire.